Les Îles – Philippe Lançon

Un peu de Paris, un peu de Hong-Kong, beaucoup de Cuba.

Voilà où nous emmène Philippe Lançon, à travers ce roman plutôt… déroutant. Il semblerait qu’il soit tiré d’une histoire vraie – c’est du moins ce qu’affirme l’auteur dans le prologue. On en apprend un peu sur lui, son ex-femme, ses regrets, ses amies avocates solitaires qui boivent du vin et de la bière.

Tout au long de la lecture je n’ai cessé de me demander si tout cela était vraiment réel.

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Des personnalités se découvrent au fil de courtes digressions, quelques pages tout au plus. Des personnages qui disparaissent comme ils sont venus, dans un souvenir, celui de l’auteur le plus souvent. On y trouve un peu de mélancolie. De l’admiration parfois. Mais le passé y apparaît toujours comme riche. Il est bon d’en tirer des apprentissages. De se réfugier dans ce qu’il a de rassurant et d’agréable quand le présent n’est plus à la hauteur.

La plupart des expériences survivent par le regret. P 23.

 

L’histoire est aussi – et surtout ? – celle d’une femme, Jad, qui devient folle en voyageant à Cuba. Etait-ce cela le prétexte à l’écriture de ce roman ? Car ce n’est finalement pas vraiment ce que j’en ai retenu.

Pour moi c’est un livre qui donne envie d’être inconséquent. Qui donne envie de vivre et de voyager comme s’il n’y avait pas de lendemain. On voudrait soudain faire l’amour comme on embrasse. Quelque chose de spontané, de fulgurant, d’anonyme. Mais aussi plonger dans la découverte d’un être, l’aimer jusqu’à en perdre un peu de soi et de sa lucidité. Que tout soit question d’ambivalence et d’intensité.

Ici les personnages sont seuls. Voyagent-il parce qu’ils sont seuls, ou sont-ils seuls parce qu’ils voyagent ? C’est la question que l’on se pose. Et il n’y a pas vraiment de réponse. Peut-être se trouve-t-elle sous les pluies chaudes d’Hong-Kong, noyée entre la verdure et les buildings. Ou bien dans la pauvreté crasse et joyeuse de Cuba, dans ce dépouillement étouffant si bien décrit par l’auteur.

 

Les Iles est un tableau. Cuba y apparaît effrayant, Hong-Kong rassurant, Paris inexistant. C’est un portrait de destins entremêlés, de réflexions sur la vie, son sens, les autres.

Que pouvait-on bien chercher dans l’amour, le voyage, sinon ce qu’ils étaient incapables de donner ? P 294.

 

Julien Doré – On attendra l’hiver

#3 – Chroniques : Roman Etudiant France Culture – Télérama 2014

En Finir Avec Eddy Bellegueule d’ Edouard Louis

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Je dois l’avouer, j’ai commencé ce livre avec quelques a priori négatifs. Quand on me l’a présenté, j’étais plutôt séduite par l’histoire : le combat d’un jeune garçon contre le rejet des autres, l’acceptation de son homosexualité, sa fuite pour un avenir meilleur. Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Quelque chose d’intime, d’émouvant ?

Mais d’autres l’ont lu avant moi, et, bien que j’aie soigneusement évité de prendre connaissance de leurs avis, j’ai quand même aperçu des “je suis mitigé”, des “je n’ai pas du tout aimé” ou encore des “je suis resté perplexe”.

Ma curiosité n’en a été que plus attisée. Je me demandais bien en quoi un tel “témoignage”, si l’on peut appeler ça comme ça, pouvait déplaire.

J’ai eu ma réponse.

Je ne peux pas dire que j’ai détesté. Le style est plutôt agréable à lire, fluide, une fois de plus. On entre vite dans la vie du personnage, son univers. Mais c’est peut-être justement cet univers, qui m’a posé problème. L’histoire se déroule en province dans les années 90, et pourtant, certaines coutumes semblent archaïques. La vie décrite y est sordide, cruelle, sale. La violence, gratuite et omniprésente. Et si l’homosexualité du narrateur est au cœur de ses préoccupations et de ses souffrances, elle ne reste ici qu’un problème parmi d’autres. Parce qu’il y a aussi le racisme, la pauvreté, la déscolarisation, le manque d’éducation…

Beaucoup disent que c’est un livre sociologique. C’est aussi le sentiment que j’ai eu. Mais il est bondé de clichés qui donnent l’impression que tout a été amplifié, exagéré. Et avoir cette impression me contrarie, car elle me fait me poser une question : est-ce parce que c’est une réalité dérangeante que je préfère croire que l’auteur en a rajouté ?

Je suis perplexe.

#2 – Chroniques : Roman Etudiant France Culture – Télérama 2014

Comment j’ai mangé mon estomac de Jacques A. Bertrand

 

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Comment parler de la maladie.

Connu pour son grand sens de l’humour, Jacques A. Bertrand a pris le parti de faire de son cancer de l’estomac un récit drôle et décalé. 111 pages au cours desquelles il nous balade délicieusement entre chambres d’hôpital, promenades et anecdotes en tout genre. Jamais de pathos.

C’est qu’il semble poser sur tout cela un regard placide et distancié. Toujours le bon mot, la bonne allusion, la bonne répartie.

 

Héloise déclara qu’elle n’envisageait pas la vie sans moi.

– C’est comme moi, dis-je, j’ai du mal à envisager la vie sans moi.  P. 50

 

De nombreuses petites digressions lui permettent parfois d’énoncer quelques critiques à l’égard de la société. De la bêtise humaine. Tous les prétextes sont bons pour le faire.

Il nous fait aussi toucher du doigt la mélancolie de ses souvenirs personnels. Avec lui, les soirs de fin d’été ont des allures Proustiennes.

Le tout est décrit dans une écriture absolument parfaite. Simple mais fluide. Chantante. Un véritable régal, si je puis dire.

Aucune raison de s’en priver, donc.

#1 – Chroniques : Roman Etudiant France Culture – Télérama 2014

Février rime avec litté(rature).

Oui je sais, ça ne ravira pas tout le monde. Mais il se trouve que je fais partie, pour sa première édition, du jury du Roman Etudiant France Culture – Télérama 2014. Une perspective assez réjouissante, je dois le dire.

C’est également l’occasion de lire à peu près une demie douzaine de livres en un mois. Qui plus est pendant l’année scolaire. Une première !

Mais c’est surtout l’occasion de lire des choses différentes. Et de les faire partager, parce que c’est plus sympa.

 

Un petit rappel des 10 livres en lice pour le concours :

Yannick Haenel – Les Renards pâles – Gallimard

Céline Minard – Faillir être flingué – Rivages

Frédéric Verger – Arden –  Gallimard

Jean-Philippe Toussaint – Nue – Minuit

Philippe Vasset – La conjuration – Fayard

Edouard Louis – En finir avec Eddy Bellegueule – Seuil

Maïlys de Kerangal – Réparer les vivants – Verticales

Lola Lafon – La petite communiste qui ne souriait jamais – Actes Sud

Célia Lévi – Dix yuans un kilo de concombres – Tristram

Jacques A. Bertrand – Comment j’ai mangé mon estomac – Julliard

Autant d’ouvrages éclectiques. Des romans de société, des romans sur l’identité, peut-être des autofictions. Auteurs aguerris ou premières publications. On a l’embarras du choix.

 

J’ai commencé avec Nue, de Jean-Philippe Toussaint.

Dernier volet de la quadrilogie Marie Madeleine Marguerite de Montalte (il faudra que je m’attèle prochainement à lire les trois autres), ce roman est une petite île, quelque chose d’à part. A travers les yeux du narrateur, il nous transporte dans le sillage de Marie, un personnage fort et fascinant. De ces femmes qui portent la grâce en elle. Qui semblent évoluer dans une insouciance pleine de beauté, une insouciance qui les rend inébranlables. Marie est la femme que l’on veut être, que l’on veut aimer.

Jean Philippe Toussaint nous emmène à Tokyo. A Paris. Sur l’Ile d’Elbe. Il pleut souvent. On rencontre des personnages un peu étranges, un peu mystérieux. Et pourtant, ce qu’on retient de ces 170 pages, c’est quelque chose de lumineux.

Ce roman est un roman d’amour, mais un amour subtil. On le ressent plus qu’on ne le lit, et c’est là toute sa force. Et j’ai beau n’en avoir lu qu’un seul sur les quatre, je ne saurais que trop vous conseiller d’aller à la rencontre de Marie. En commençant par le début, cette fois-ci.

 

“Les journées sont toujours affreusement longues et la vie dramatiquement courte” P. 153

Qu’y a-t-il derrière la porte de l’armoire ?

– Elle a les yeux comme des étangs tant ils ont recueilli de larmes, dit-il.
Une larme, puis une seconde roulent sur la joue d’Anna, dans le creux de son cou, sous sa chemise.
– Peut-être devrait-elle en parler, de ses chagrins, s’entend-elle dire.
– C’est ce que je lui ai dit aussi, à la fille que j’ai rencontrée.
– Elle en parlera, dit Anna. Dès qu’elle sera prête.

Il est quatorze heures passées, dehors il fait beau mais un peu froid, et sans voiture, je suis condamnée à rester en ville. Sans même réfléchir mes pas me guident tout droit à la librairie, où je me mets à explorer du bout des yeux ces dizaines de couvertures et de titres, dont plusieurs abritent probablement des petits chefs d’œuvres. Certaines images m’inspirent, je lis les résumés, feuillette quelques pages. L’odeur poudrée du papier flotte partout autour de moi. J’attrape L’armoire des robes oubliées, de Riikka Pulkkinen, j’aime déjà. J’ouvre, page 232, et je lis ces lignes. J’ai fait mon choix.

Les 80 premières pages nous emmènent à la rencontre des personnages principaux. L’auteure distille les indices avec parcimonie, les personnalités se dévoilent lentement, mystérieusement. On veut en savoir plus. On veut tout savoir d’Elsa, la grand-mère atteinte d’un cancer. De Martti, son mari peintre. D’Eleonoora, leur fille dont la rigueur doit cacher quelque chose. De leurs petites filles enfin, Maria et surtout Anna – quel est ce chagrin qui l’a forcée à  rester allongée onze jours dans son entrée ?
Anna ouvre cette armoire, enfile cette robe et les souvenirs reviennent à la surface, ils ébranlent tout. On bascule alors dans les années soixante, on devient Eeva. A partir de là, l’histoire alterne entre passé et présent, les relations se nouent et se dénouent, on comprend, on vibre, on vit leurs joies et leurs douleurs.

Ce livre est magnifique. Il transporte en plein cœur de la Finlande, et la vie y semble douce, comme si le soleil brillait toujours. L’auteure y décrit la lumière, les ombres, les odeurs, les oiseaux et la mer avec une justesse incroyable. On finit par rêver de saunas fumants, de cafés, de brioches à la cannelle.
Mais la beauté est encore ailleurs. L’armoire des robes oubliées est une invitation à vivre et à penser l’amour, à surmonter la fin d’une histoire, à se confronter à la mort. Les réflexions livrées là sont toutes teintées d’une sincérité touchante, parce que les personnages y croient comme si leur vie en dépendait. C’est d’ailleurs un peu le cas. Et tout semble d’autant plus vrai qu’en lisant, on ne peut s’empêcher d’avouer qu’on a déjà éprouvé tout ça. Peut-être différemment, peut-être moins fort, mais on l’a éprouvé quand même.
Au dos de l’ouvrage figure une critique, qui dit que “Certaines scènes, certaines pages de ce premier roman confinent à la perfection”. C’est la vérité. Il se dégage de ces mots une poésie qui donne envie de voir la vie autrement. Imaginer la vie des gens dans le tramway, boire du vin sur une balancelle, faire des colliers de fraise.

C’est frais et léger, tout en étant puissant et profond. Une complétude parfaite.

 

La vie, même heureuse, est moins dramatique en vrai que les rêves. Elle est en même temps plus lourde.  P. 239

 

 James Blake – Limit To Your Love